LES AVENTURES DE HUCKLEBERRY FINN, Mark Twain - roman
Plusieurs fois, au cours de ma lecture des Aventures de Tom Sawyer, je me suis demandée s'il ne s'agissait pas d'une relecture, tant certaines scènes me semblaient familières. Sauf que je savais que je ne les avais jamais lues. Alors, oui, ça ne pouvait être que cela, je connaissais les facéties du gamin du Sud par le dessin animé japonais qui passait en feuilleton à la télévision quand j'étais enfant... & je retrouvais, intact, le plaisir de ces aventures d'un autre temps/ autre lieu, des efforts extravagants déployés par Tom pour rendre la vie plus attrayante, tellement plus excitante que les promesses de Paradis assujetties au devoir moral & à l'obéissance.
Avec la surprise & le bonheur nouveau de découvrir une langue riche, orale, au plus proche des gens décrits, retranscrite à merveille par le traducteur : même en français, on "sent" les différents niveaux de langue & de style propre à chacun-e, on voit les mots écorchés de Tom & de son pote Huck comme autant de réajustements du réel, plutôt que comme un marqueur social. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les Aventures de Tom Sawyer comme dans celles de Huckleberry Finn, & qui place ce diptyque haut dans l'histoire de la littérature : une vision du monde & de la vie nous est offerte, nous est donnée en actes & en paroles.
Une vision courageuse, quoiqu'en disent d'aucuns : Mark Twain est de son temps, excusez lapalissade mais justement, il donne à lire en 1884 l'histoire d'un enfant blanc miséreux, maltraité par son père & d'un esclave que sa maîtresse s'apprête à vendre à l'autre bout du pays en l'éloignant de sa femme & de leur progéniture, tous deux en fuite & que le hasard réunit, compagnons d'infortune associant leurs bons coeurs & leurs talents pour retrouver chacun leur liberté (voir plus bas l'interview du traducteur Bernard Hoepffner sur la question raciale).
Les Aventures de Huckleberry Finn est avant tout l'apprentissage par soi-même, au simple contact de l'autre qu'on croyait littéralement bête (non humain) & avec pour toute jauge son coeur de petit d'homme & son expérience de la vie, de l'antiracisme.
Une vision romantique, par le personnage de Tom, qui a dû lire les romans d'Alexandre Dumas & de Stendhal & va jusqu'à retarder dangeureusement l'évasion de Jim l'esclave pour l'amour du risque & du beau geste, mais aussi libertaire ou plutôt cynique, pour remonter à une référence plus lointaine : Huck, à la fin des Aventures de Tom Sawyer s'enfuit de la maison qui l'a accueilli pour retourner dormir dans un tonneau que ne renierait pas Diogène & il lègue sa part du trésor trouvé avec Tom au juge qui le gère pour lui. Ce qui lui importe est ce sentiment de légèreté qu'il ne saurait trouver que dans ses pieds nus & la permanence du ciel étoilé bénissant ses nuits...
Quant à sa conscience, si elle le travaille tout le temps de son escapade avec Jim le long du Mississipi, partagé qu'il est entre le bien agir qu'on lui a appris & ce que son bon sens lui dicte, le menant en bourrique, piège à impuissance, sa grande sagesse lui permet finalement de se laisser traverser sans broncher, pour ne pas pas perdre ses forces vives :
Mais c'est toujours comme ça ; qu'on fasse le bien ou qu'on fasse le mal, c'est du pareil au même, la conscience de quelqu'un, elle a pas de sens, elle s'empare de lui de toute façon. Si j'avais un de ces chiens jaunes de Caroline qu'en sait pas plus que ce que sait une conscience, je le poisonnerais. Ca prend plus de place que tout le reste, à l'intérieur, & pourtant ça sert à rien, mais à rien. Tom Sawyer, il dit pareil.
(p.352)
Il est bon de commencer sa lecture par les Aventures de Tom Sawyer, manière de raviver des sensations enfantines, rythme effrénné, mortel ennui, ambiance sudiste mais je dois avouer que la révélation s'est réellement produite en entamant les Aventures de Huckleberry Finn qui, derrière la jouissance inentamée de l'aventure, révèle une vraie réflexion sur l'âme humaine, la relation à l'autre & la liberté.
Une interview du traducteur par le Nouvel Obs'
De Mark Twain à la médiathèque
Nathalie