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ALGORITHME ÉPONYME & autres textes, Babouillec - Poésie

"J'appartiens à une espèce en voie d'apparition".

LE MOT DE L’ÉDITEUR :

« Je suis née un jour de neige, d'une mère qui se marre tout le temps. Je me suis dit « ça caille, mais ça a l'air cool la vie! » Et j'ai enchaîné les galères. »

Voici comment se présente Hélène Nicolas,  jeune femme de trente ans, autiste diagnostiquée très déficitaire. Jamais scolarisée, elle n'a - selon ses propres mots – « pas appris à lire, à écrire, à parler ». Elle n'a pas accès à la parole ; son habilité motrice est insuffisante pour écrire. Elle réussit pourtant, après vingt ans de silence, à écrire à l'aide de lettres en carton disposées sur une feuille blanche, des œuvres d'une grande force poétique.

Elle se donne comme nom : Babouillec. Algorithme éponyme et autres textes recueillent ses principaux ouvrages, dont deux font l'objet de multiples représentations théâtrales, notamment au festival d'Avignon. Dernières nouvelles du cosmos, un film documentaire de Julie Bertuccelli, est entièrement consacré au travail de création du langage poétique de Babouillec.

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Babouillec nous "parle" d'un autre monde, qui ne constitue pas l'ordinaire de nos jours ; elle vient surtout jusqu'à nous - avec ses cartons de lettres - depuis un autre monde, & c'est depuis ce monde qu'elle observe une société édifiée, régulée par la parole, depuis ce monde - ressenti à priori de l'extérieur comme douloureux, voire infernal - qu'elle vient dire ce qu'il en est pour elle, extra-terrestre, de s'interconnecter, d'interagir avec celui dans lequel ses lecteurs se glissent & se meuvent depuis toujours. De ce monde fermé à nous, en fusion, bordélique, ultra sensoriel, simultané, cosmique elle parle avec effusion & une certaine nostalgie (envies régressives). Elle en parle comme d'une jouissance, sans pause, elle en parle comme d'une souffrance. Il semble que fournir l'effort incommensurable de venir à nous soit une souffrance, & une jouissance... Quoi qu'il en soit, impossible pour elle de revenir en arrière : en découvrant ses semblables & en communiquant avec eux, elle a découvert la solitude.

Les écrits de Babouillec sont l'occasion de se voir depuis ailleurs ; l'occasion de reconnaître quelques souffrances évoquées (la violence d'un monde ultra normé) ; l'occasion de faire un pas de côté, de s'essayer un peu à la joie du "démoulage" ; l'occasion commune de se sentir moins seul.e.s. Ils prennent souvent la forme de manifestes (elle est bien de notre côté, elle oeuvre pour le bien commun) ou plus simplement de propositions, d'invitations, à la porosité. Sans jamais oublier l'humour. Mais lisez plutôt :

 

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Le bruit des lettres qui s'entrechoquent en cascades de mots

Teintes multicolores du dédale galopant

Notre pouvoir d'y croire

S'inscrit lettre par lettre

Sommes-nous des lecteurs reliés à l'aventure humaine

Des ombres ornementales inclinant nos échines au soleil levant

Des oiseaux de nuit au cri perçant comme la chouette

Des têtes asservies aux corps symétriques

Des têtes libres aux ressorts virevoltants

Des êtres répertoriés, identifiés, existants ??????

 

Est-ce là notre essence

Vivre dans le format, s'y confondre, lui appartenir, décliner une identité dans cette appartenance, cette confection de nous-même comme une image de l'être.

& pourquoi pas le rien comme point de rencontre, point d'interrogation sur nous-même, posé entre deux lignes, d'écrire un morceau de l'histoire en recherche des mots pour le dire.

(p.57)

 

Rêver d'être une boîte de cornichons posée sur une étagère & attendre que quelqu'un s'intéresse à toi pour changer d'étagère why not ?

Sortir de ma bulle pour entrer dans le cercle aux limites domptées depuis la nuit des temps par le géocentrisme indélébile. Pourquoi ? 

 

Mon père est entré dans la cage & je n'ai plus de père

(p.59)

 

La carapace d'un être humain

Vingt fois sur le métier je remets l'ouvrage d'être en vie dans une carapace pénétrée par le mystère de la fabrique de nos petites vies usées par ce combat stérile de l'appartenance. J'ai rebroussé chemin pour me raconter. J'appartiens à une espèce en voie d'apparition, dépourvue du sens social sécuritaire, bannissant les codes interrompant les accès aux mystères de la vie.

Une espèce fantaisiste où règne un désordre tonitruant.

Equipée de codes indéfinissables brouillant les radars des formats en tout genre, j'appartiens à cette espèce étrange qui ne rentre nulle part, qui ouvre la passerelle des impossibles en torturant les repères sociaux.

J'observe sans relâche les codes d'appartenance & je défis les pièges à la pensée.

(p.128)

 

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Retrouvez ce recueil de poésie parmi une sélection de documents sur l'autisme à la médiathèque & sur notre catalogue.

Le film documentaire de Julie Bertuccelli, Dernières nouvelles du cosmos sera projeté au Quai 56 à Guer le samedi 18 novembre à 20h30 & sera suivi d'un débat avec Véronique TRUFFERT, maman d'Hélène alias Babouillec.

  Nathalie

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