L’UNIVERSITÉ DE REBIBBIA, Goliarda Sapienza - récit
Qu'est-ce que la beauté, sinon de la cohérence ?
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Il y a d'abord le regard de cette femme sur la couverture, fatigué et souriant, qui semble revenir de loin mais aurait fait en route le plein d'amour, de bienveillance, comme la seule chose qui reste, commune, quand tout a été saccagé.
Cette femme, c'est donc Goliarda Sapienza (non, ce n'est pas un pseudonyme, ça ne s'invente pas un nom pareil!), née en 1924 en Sicile dans une famille socialo-anarchiste.
Sa vie tumultueuse et originale s'essouffle en 1980 quand son grand roman L'Art de la joie, qu'elle a mis 10 ans à finir se voit refusé par tous les éditeurs. Un acte un peu insensé, un peu obscur dans ses intentions (vol de bijoux) l’envoie alors dans la plus grande prison pour femmes de Rome, Rebibbia.
C'est l'occasion pour cette femme moralement épuisée de paradoxalement renaître en ce lieu d'enfermement mais qui reste le seul à savoir rassembler des humains (humaines en l'occurrence ici!) d'origines sociales disparates ; le lieu d'application possible, en sorte de l'utopie socialo-anarchiste qui l'habite depuis les origines... Et ce qui va souder entre elles ces femmes si différentes (junkies, gitanes, politiques,...), du moins le temps de ce récit, c'est-à-dire dans la vision qui nous est offerte là, c'est la capacité d'accueil et de compréhension de Goliarda "la sage".
"Pour connaître un pays, il faut connaître ses écoles, ses asiles et ses prisons. [...] Je voulais seulement, en entrant ici, prendre le pouls de notre pays, savoir à quel point en sont les choses " aurait-elle confié à un journaliste à propos de son séjour à "l'université de Rebibbia".
C'est bien cela que nous trouvons à la lecture de ce récit : le battement de cœur d'un pays en pleines années de plomb ; mais aussi un concentré d'humanité aux figures contrastées, éclatantes et toutes émouvantes et le regard d'une femme qui a laissé sans regrets ses parures au vestiaire et trouve au milieu de ses sœurs de misère l'occasion d'un amendement.
Pour voir une vidéo de l'écrivain, cliquez sur l'image (en italien seulement!)
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L'Université de Rebibbia, Goliarda Sapienza, Le Tripode, 2013
vient d'arriver à la médiathèque et son roman L'Art de la joie est également disponible.
"Tandis que l'on marche d'un pas rapide (il fait nuit désormais, les gardiennes sont pressées), la première chose que l'instinct vous suggère, exactement comme à l'école, c'est : ne jamais irriter les supérieurs. L'auto-dégradation qu'engendrent cette longue descente et, ensuite, le passage d'une grande grille, et après encore -toujours plus bas- la vue d'une dizaine de portillons métalliques cadenassés tout autour d'une place sombre, est si puissante qu'elle m'apparaît comme une sorte de plaisir auquel s'abandonner pour en finir avec les minuscules angoisses de la vie, les dilemmes éthiques, l'orgueil, la respectabilité."
(p.14)
" J'ai débarqué dans le royaume du tout est possible (violences, abandons, contradictions), fondé sur la conscience profonde de chacune d'être désormais perdue à jamais pour les lois qui régissent la vie du dehors. De fait, quand on met le pied sur le rivage du tout est perdu, n'est-ce pas justement alors que surgit la liberté absolue ?"
(p.132)
Nathalie