HISTOIRES SANS PAROLES
Histoire sans paroles : vous souvenez-vous (je parle à celles & ceux qui furent enfants dans les années 70...) de cette émission de télévision programmée le dimanche soir vers 17 heures & qui présentait une sélection de films burlesques en noir et blanc de l'époque héroïque du cinéma muet ? Son générique me remet immédiatement dans l'ambiance douillette des soirées d'hiver, entre le bain & le souper, nuit tombée, pyjama rayé & rires assurés (oui, je suis d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître).
https://www.dailymotion.com/video/x3engx
Mais ce n'est pas ce souvenir qui a fait naître l'idée de cette nouvelle sélection thématique. Pour tout dire, je ne sais pas bien ce qui provoqua l'étincelle. L'idée de départ était de mettre en avant les bandes dessinées muettes. & puis j'ai élargi le concept aux albums pour enfants & aux cinéma. Par contre, je sais à quelle oeuvre j'ai immédiatement pensé : la magnifique B. D. de Shaun Tan, Là où vont les pères, qui voit un père de famille quitter les siens & sa ville où la menace rôde & partir seul, en éclaireur, à la recherche d’un lieu où vivre en paix. De l’autre côté des mers, dans la mégalopole où il débarque, rien ne fait sens, tout fait obstacle & en premier lieu la langue. L’expérience de lecture sans texte suit comme une ombre celle de cet émigré universel pour une plongée en apnée dans l’inconnu & l’incertain des destinées en fuite...
Bon, mais des histoires sans paroles, pour quoi faire ?
Et bien...
Pour lire avant de savoir lire.
Pour lire même si on ne sait pas lire ou pas dans la langue des livres qu’on a sous la main.
Pour apprendre à lire les images. Retrouver le temps de l’apprentissage, la concentration, l’immersion totale qu’il implique.
Pour se reposer des mots. Ne pas en rajouter. Se sentir plus libre de se raconter l’histoire proposée.
Pour éprouver au maximum le pouvoir de l’image. De suites d’images dans le cadre d’une page, d’un livre, d’images en mouvement sur une toile ou un écran.
Pour mieux dire les émotions, le difficile à exprimer, l’impalpable.
Pour aller à l’essentiel, au plus profond. Dans ce langage universel (pour les voyants s’entend), retrouver la part commune. Voyez la dernière scène des Lumières de la ville de Chaplin. Bien sûr quelques intertitres sont là pour nous guider : la jeune femme, hilare face à un Charlot miteux qui vient de la reconnaître & s’immobilise, tétanisé par l’émotion : « J’ai fait une conquête », puis, 1 minute 30 plus tard, le « Vous ? » de la reconnaissance quand elle prend la main du vagabond pour y déposer une pièce, retrouvant alors ses sens d’ancienne aveugle, enfin le « Vous voyez clair maintenant ? » d’un Charlot gêné, doigt à la bouche, ému & le « Oui, maintenant, je vois clair. » lourd de sens de la jeune fleuriste. Chaplin est un malin. En pleine possession de l’art du « muet », il nous offre la scène peut-être la plus émouvante du cinématographe tout en montrant combien la vue est un sens trompeur, comme l’image peut servir les apparences & la duplicité, capable du pire comme du meilleur.
Des films d’avant le « parlant » donc, muets par nécessité mais qui ont su porter à son degré d’incandescence le pouvoir de l’image en mouvement & d’autres plus récents qui ont eu envie de retrouver ce pouvoir-là, des films d’animation, des albums, des bandes dessinées pour jeunes enfants & pour les grands.
Des films, des livres à partager pour raconter à l’autre sa version de l’histoire, à regarder seul dans le silence pour mieux éprouver la puissance suggestive des images ou encore en musique, autre langage universel capable de court-circuiter notre entendement pour pénétrer sans filtre nos émotions & proposer une vision inédite.
A vous de voir. A vous de regarder.
A la médiathèque ou sur le catalogue, là.
Nathalie